Nouvelle étude: Comment l'épidémie de sida a commencé en Afrique

Publié le 6 Octobre 2014

Nouvelle étude: Comment l'épidémie de sida a commencé en Afrique

Une nouvelle étude révèle comment le virus du sida, transmis du chimpanzé à l'homme, s'est diffusé en Afrique entre 1920 et 1960, avant de déclencher la pandémie qui a touché à ce jour 75 millions de personnes.

L’épidémie de sida a débuté dans les années 1920 à Kinshasa, qui s’appelait alors Léopoldville, et s’est répandue pendant des décennies en Afrique centrale, bien avant d’être identifiée aux États-Unis en 1981. Une étude génétique portant sur des centaines d’échantillons de virus, menée par un groupe international de chercheurs, reconstitue les premières étapes de la progression du VIH, et met en évidence le rôle des changements sociaux et des transports, en particulier le train, dans l’Afrique coloniale.

Cette étude, publiée le 3 octobre dans Science, montre comment une forme particulière du virus est devenue prédominante et a abouti à la pandémie qui a touché, à ce jour, 75 millions de personnes dans le monde. Les différentes variantes connues du VIH se répartissent en deux groupes appelés M (pour major) et O. Mais alors que le groupe M s’est répandu dans le monde entier, les virus du groupe O sont restés cantonnés au Cameroun et aux pays voisins. Les auteurs de la nouvelle étude, dirigée par Oliver Pybus de l’université d’Oxford, montrent que les histoires épidémiques des deux groupes ont été parallèles pendant plusieurs décennies, avant de se dissocier au début des années 1960.

L’histoire humaine du sida commence bien avant, au début du XXe siècle. Le virus a été transmis du chimpanzé à l’homme, à plusieurs reprises, probablement à l’occasion de chasses. Les souches de virus de chimpanzé les plus proches des virus humains ont été retrouvées au Cameroun, et l’on suppose donc que c’est là que le VIH est passé chez l’homme. Selon Pybus et ses collègues, le virus a ensuite sans doute voyagé par voie fluviale, le long de la Sangha (affluent du fleuve Congo), pour aboutir à Léopoldville, alors capitale du Congo, vers 1920.

Cette date et ce lieu ont été déterminés par une analyse de centaines de séquences de virus collectées en République démocratique du Congo (RDC, précédemment Congo belge, puis Zaïre), ainsi que dans les pays voisins. En étudiant ces séquences, qui ont été collectées entre les années 1980 et 2000, les chercheurs ont pu montrer que les virus du groupe M ont un ancêtre commun apparu en RDC, et se sont ensuite diffusés dans les autres pays. La date de 1920 a pu être établie de manière assez solide, de même que la localisation à Kinshasa/Léopoldville. La nouvelle étude corrobore des études antérieures, mais avec une méthodologie différente, ce qui donne une plus grande fiabilité aux conclusions.

On peut ajouter que le plus ancien échantillon de VIH connu, qui date de 1959, a été recueilli à Kinshasa. Les chercheurs soulignent aussi que c’est à Kinshasa que l’on observe aujourd’hui la plus grande diversité génétique du VIH, et que des cas anciens de malades dont on pense a posteriori qu’ils ont été atteints de VIH sont liés à cette ville.

Comment s’est diffusé le virus à partir de Kinshasa ? L’analyse de Pybus et ses collègues montre une progression assez régulière pendant plusieurs décennies. Les chercheurs démontrent que le virus est arrivé à Brazzaville (ville très proche de Kinshasa) vers 1937, et deux ans plus tard à Mbuji-Mayi, en RDC. Si les estimations sont très précises, c’est qu’elles reposent sur la comparaison de nombreuses séquences de VIH provenant de ces différents lieux.

Les chercheurs pensent que les moyens de transport, et en particulier le train, ont joué un rôle crucial dans l’établissement de l’épidémie : le virus « est arrivé en premier dans les trois plus grands centres de population les mieux reliés à Kinshasa, à savoir Brazzaville, Lubumbashi et Mbuji-Mayi, écrivent-ils. En RDC, la majorité des voyages s’effectuaient par le réseau ferré, qui transportait plus de 300 000 passagers par an en 1922, et a dépassé le million de voyageurs annuels en 1948 ». Les auteurs précisent aussi que Mbuji-Mayi était le deuxième producteur mondial de diamants industriels, et que Lubumbashi était également une ville minière. Le mouvement principal était au départ de Kinshasa vers les autres villes, mais à partir des années 1950, on détecte aussi une circulation du VIH entre Mbuji-Mayi et Lubumbashi.

Cette analyse concerne les virus du groupe M, centré au départ sur Kinshasa. Les chercheurs ont aussi étudié la progression du groupe O, établi en Afrique de l’Ouest et en particulier au Cameroun. Grosso modo, de 1920 à 1960, les deux groupes se propagent sensiblement au même rythme. Mais à partir de 1960, date qui se trouve correspondre à l’indépendance du Congo, le rythme de progression du groupe M est triplé, et les virus de ce groupe se diffusent sur le continent africain, alors que le groupe O reste confiné à l’Afrique de l’Ouest.

Les virus du groupe M se sont aussi subdivisés en sous-types. L’un d’eux, le sous-type B, a probablement été exporté d’Afrique en Haïti. Ce sous-type était présent à Kinshasa vers 1944, et on le retrouve en Haïti à partir de 1964. Il est possible qu’il ait été transporté par des travailleurs haïtiens venus en Afrique au début des années 1960, au début de l’indépendance du Congo, et rentrés ensuite dans leur pays. Une forte proportion de ces travailleurs a vécu à Kinshasa.

Le sous-type B s’est ensuite propagé de Haïti aux États-Unis, puis en Europe et en Asie. C’est aujourd’hui le sous-type le plus disséminé dans le monde. Mais non celui qui cause le plus grand nombre d’infections : le sous-type C, le plus répandu en Afrique subsaharienne, représente la moitié des infections dans le monde. Selon les chercheurs, ce sous-type C serait originaire de Mbuji-Mayi.

Si ce sont les virus du groupe M qui ont donné au sida sa dimension pandémique, les chercheurs n’ont pas de certitude sur les raisons pour lesquelles ce groupe s’est ainsi répandu, alors que le groupe O est resté limité au Cameroun et aux pays frontaliers. Il est improbable que cela soit dû à une évolution particulière de la biologie des virus du groupe M, car celui-ci était déjà dispersé dans plusieurs pays d’Afrique et il faudrait supposer que des sous-types distincts évoluent de la même façon. Il y a peu de chances que cela se soit produit.

Une autre hypothèse possible aurait été une expansion démographique plus rapide à Kinshasa, entraînant une plus forte diffusion du virus ; mais en fait, le rythme de progression du virus est lui-même plus rapide que celui de la démographie, de sorte que l’explication ne tient pas.

Les chercheurs penchent plutôt pour une explication épidémiologique. Ils supposent que les virus du groupe M se sont propagés, à partir des années 1950, au sein de groupes restreints, mais à haut risque. Cela pourrait résulter, d’une part, d’une prostitution avec un nombre élevé de clients, qui se serait développée à Kinshasa ; d’autre part, de transmissions iatrogènes par des injections avec des aiguilles non stériles, dans des hôpitaux. Les deux explications ne s’excluant pas.

À l’appui de l’hypothèse iatrogène, les chercheurs soulignent que l’on relève en 1951-52 à la même époque une épidémie d’hépatites à virus B qui pourrait être due à la même cause. Quoi qu’il en soit, le groupe M s’est trouvé « au bon endroit au bon moment, et il a ramassé le jackpot », résume Oliver Pybus.