Dossier Guineenews – Poudrière forestière : la part d’erreurs de sensibilisation dans le drame de Womey (2ème partie)

Publié le 10 Octobre 2014

Dossier Guineenews – Poudrière forestière : la part d’erreurs de sensibilisation dans le drame de Womey (2ème partie)

Le drame de Womey est un crime impardonnable. Le président Alpha Condé a souligné que le drame n’a rien à avoir avec Ebola et croit à une manipulation de la population de la part de gens « qui veulent foutre la pagaille dans le pays ». A l’instar du président, certains Guinéens ont réagi au drame par la stigmatisation de certains groupes en attribuant l’origine du drame de Womey à ce qu’ils perçoivent comme « la culture de la barbarie » des habitants de la région. Pour eux, les éruptions de violence fréquentes de la région précèdent de l’expression d’instincts sauvages plutôt qu’à l’exutoire de frustrations accumulées et mal contenues. Il n’y a certes aucune excuse à la violence gratuite, mais une fois l’émotion passée, il est nécessaire de comprendre les motifs de la violence pour pouvoir empêcher ce genre de drame à l’avenir. La Guinée ne peut pas gagner la guerre contre la maladie Ebola si le pays continue d’être distrait par des luttes intestines, par la déchirure sociale, et par les petits calculs politiques électoralistes. Dans le cadre de lutte contre la maladie a virus Ebola, un climat apaisé entre les communautés ethniques de la région d’une part, et entre les autorités et ces communautés d’autre part sera nécessaire pour arrêter la propagation de cette épidémie. Votre quotidien Guinéenews© a enquêté sur les origines de la violence sur la base de sources variées, et présente son analyse ci-dessous.

Les négligences et les erreurs de la réunion de sensibilisation

L’éruption de la violence gratuite à l’endroit de la délégation qui a visité Womey le 16 septembre 2014 semble venir de nulle part. Bien que certains parlent de préméditation ou de piège tendu, il semble qu’il y a eu un élément déclencheur lié aux erreurs d’appréciation de la situation potentiellement explosive qui prévalait à Womey. Selon les indices disponibles, les sages de Womey avaient été associés à l’organisation de la rencontre, mais il y a eu quelque part une imprudence majeure qui a fait tourner la sensibilisation à la provocation. D’abord, il y eu un mélange de genres en associant des hauts responsables politico-militaro-administratifs à une campagne de sensibilisation qui aurait dû privilégier le dialogue communautaire, le porte-à-porte au profil bas, ou la sous-traitance des efforts de sensibilisation à quelques sages de Womey après une formation appropriée. Au contraire, les organisateurs de la rencontre ont privilégié le format de meeting politique, avec des discours officiels en français devant des personnes majoritairement illettrées. Ensuite, il y a eu le fait d’ignorer les sensibilités historiques et culturelles concernant la composition ethnique de la délégation dans un contexte de relations intercommunautaires tendues et de conflits non résolus.

La sensibilisation ne peut pas se faire comme une « mamaya » politique. Une délégation de sensibilisation aurait dû être inclusive et culturellement sensible, en mettant à contribution les fils du terroir et les sages dans la mesure du possible. La délégation était un mélange de genre qui comportait deux groupes : le premier groupe comprenait les agents de sensibilisation (cadres de la santé, chefs religieux, et journalistes) et le deuxième groupe regroupait les dignitaires politiques et hauts responsables politico-militaro-administratifs de la région. Il y a eu certes l’implication du bureau de sages dans l’organisation, mais ils n’ont pas joué un rôle de premier plan attendu d’eux durant la rencontre.

Selon le gouvernement, la mission s’était employée « à sensibiliser la population locale sur la lutte contre l’épidémie Ebola. Malheureusement, il s’en est suivie une réaction hostile des habitants de la localité, qui, à l’instar de certaines populations continue à être intoxiquée par des informations tendant à faire croire soit, que cette maladie n’existe pas, soit qu’elle a été créée pour les éliminer. Devant les jets de pierres et de violences physiques, les membres de la délégation n’ont eu d’autres choix que de s’en fuir. Si certains ont pu rejoindre N’Zérékoré, neuf membres de la délégation étaient porté-disparus jusqu’à ce jour ». Cependant, la présence du deuxième groupe, notamment le gouverneur et le préfet, a changé la dynamique de la sensibilisation. Ce n’est pas tous les jours qu’un village reculé reçoit la visite des hautes autorités de l’Etat. Les habitants s’attendaient donc à une occasion de poser les doléances relatives à la déficience des infrastructures sociales dans leur village. Cette thèse est confirmée par un compte rendu du drame par Paris Match, qui affirme que l’accueil de la délégation fut chaleureux : « Chacun se présente. Les chefs du village évoquent un problème avec l‘école, qui manque d’enseignants, et ce bout de route, là-bas, qu’il faudrait faire goudronner. La délégation s’installe à la tribune en plein air. Le Gouverneur prend la parole en français et fait le point sur la situation d’Ebola. Le DPS explique ensuite l’attitude à avoir ».

Les responsables de N’zérékoré auraient dû s’inspirer de l’exemple de Guéckédou pour la sensibilisation des populations réticentes envers Ebola. Depuis mai 2014, les équipes de l’OMS qui venaient au secours faisaient l’objet d’attaques à Guéckédou. Dans de nombreux villages, les habitants leur avaient jeté des pierres et avaient bloqué les pistes avec des troncs d’arbres pour empêcher les véhicules de passer. Devant ce comportement hostile, l’OMS avait changé de tactique pour la sensibilisation. Douze sages de la communauté furent identifiés et mis à contribution pour « ouvrir la voie » aux équipes de sensibilisation, de désinfection et de transport des malades et cas suspects. Parmi les douze sages, une brave femme du nom de Marianne Bayo Icamano retiendra l’attention de l’OMS. L’exemple de sensibilisation responsable et efficace de Marianne est présenté sur le site internet de l’OMS (voir le site http://www.who.int/features/2014/ebola-in-villages/fr/#.VB_5K4CIZk8). Contrairement à l’approche politico-administrative qui consiste à se présenter à un village avec les hautes autorités et à faire des discours officiels en français, l’approche de Marianne et son groupe de sages est « d’aborder les villageois dans le respect des traditions, en parlant de paix et de fraternité, en s’excusant de faire intrusion, en présentant leurs condoléances et en offrant des noix de kola. » Grâce à cette approche personnelle et affective, Marianne a établi un dialogue avec les villageois : « Ils nous expliquent pourquoi ils sont en colère et méfiants. Ils pensaient qu’on leur mentait et que, dans les centres de traitement, les patients ne recevaient pas de nourriture, ni de soins. Ils pensaient qu’après leur mort, les patients étaient vidés de leurs organes et de leur sang. Mais maintenant, ils comprennent et ils acceptent des agents de santé étrangers. Les équipes peuvent alors venir et faire leur travail. »

Connaissant les méthodes guinéennes, il se pourrait que les organisateurs de la rencontre aient essayé de plaire à tout le monde. D’un côté, ils assurent aux autorités la disposition des habitants de Womey de recevoir la délégation de sensibilisation et de l’autre, ils promettent aux habitants de Womey que le gouverneur venait pour écouter leurs doléances et résoudre leurs problèmes. Ceci explique l’étonnement des villageois quand tous les discours ne parlaient que d’Ebola et non d’écoles, de routes, de dispensaires. Le village a jusque-là été épargné par Ebola et la population ne se sent pas concernée par les opérations de prévention et de sensibilisation. L’incompréhension entre la délégation venue uniquement pour sensibiliser sur Ebola et la population qui voyait la présence du gouverneur et du préfet comme une occasion de poser des doléances à l’Etat défaillant avait mis le feu aux poudres. Les populations autochtones avaient déjà des griefs liés à la perception d’être oubliées par l’Etat (si ce n’est d’être du bétail électoral pour le parti au pouvoir), d’être soumises à l’oppression et à l’injustice de ceux qu’elles ont accueilli dans le passé, et d’être marginalisées dans leurs propres terres par une politique gouvernementale qui les défavorise. A Womey, elles ont vidé leur frustration par un accès de rage contre l’Etat représenté par les membres de la délégation.

C’est le deuxième groupe de la délégation qui a fait les frais de la folie meurtrière de Womey. Ce groupe comprenait les cadres techniques de la santé, notamment le directeur préfectoral de la santé de N’Zérékoré, Dr Ibrahima Fernandez ; le directeur général adjoint de l’hôpital régional de N’Zérékoré, Dr. Ibrahima Saliou Barry, le chef du centre de santé de Womey, Pépé Kpogohomou. Il y avait aussi un chef religieux, le Pasteur de N’Zao, Moïse Mamy. Ce groupe reflétait la composition normale d’une mission de sensibilisation. Il avait l’avantage d’allier la compétence technique sur les questions de santé à la crédibilité du fait de l’association de fils du terroir tels que le chef du centre de santé de Womey et le pasteur de N’Zao. Sans l’implication des politiciens, ce groupe aurait pu mener en toute quiétude une mission de sensibilisation. C’est le fait de s’accommoder de la présence de hautes autorités politico-militaires qui a dénaturé la mission de sensibilisation et tourné la rencontre à la provocation. Dès que la situation a tourné au vinaigre, les politiciens protégés par leur garde rapprochée se sont enfuis. Ce sont les membres apolitiques de la délégation (les agents de sensibilisation don les pauvres journalistes) qui furent jeté en pâture à la vindicte des fous du village.

Les signes précurseurs ignorés

La confusion du message du gouvernement sur la maladie Ebola a contribué à susciter un sentiment de méfiance au niveau des populations autochtones de la Guinée Forestière. Déjà éprouvées par une obsession de « complot » du pouvoir en faveur de leurs rivaux allochtones, les populations autochtones ont commencé à douter « des blancs » qui travaillaient au sein de leur communauté. L’assertion du président selon laquelle MSF faisait du bruit autour de la maladie pour se faire de l’argent a été intégrée comme une vérité évidente par bon nombre de Guinéens qui voulaient plutôt entendre venir les milliards d’investissements promis que de s’astreindre à des mesures de prévention restrictives.

Déjà, les rumeurs circulaient sur certains sites internet marginaux comme RumorMills.com, WikiStrike.com, et Beforeitsnews.comsur le fait qu’Ebola proviendrait d’un accident dans un laboratoire secret de fabrication d’armes biologiques localisé dans un hôpital de Kenema, en Sierra Leone et financé par les bons soins de Georges Soros, grand ami et soutien politico-financier d’Alpha Condé, et qui est souvent cité dans la saga du projet Simandou. Le porte-parole de l’ONG de Soros, l’Open Society Foundation a dû intervenir dans les médias pour réfuter la véracité de ces rumeurs folles. D’autres sources attribuent une supposée introduction d’Ebola en Guinée Forestière à la revanche de Benny Steinmetz contre l’expropriation de ses avoirs miniers. Il n’y a aucune base solide à ces rumeurs, mais la croyance populaire a la vie dure. Dans certains milieux et dans des villages reculés, les populations croient fermement à la version de l’introduction d’Ebola par des blancs intéressés aux ressources minières, avec la complicité du gouvernement dans le seul but d’anéantir leurs communautés.

Ainsi, un centre de traitement d’Ebola de Médecin Sans Frontières (MSF) avait été pris à partie par des manifestants à Guéckédou en avril dernier. Ce genre d’action hostile se répètera le 29 août 2014 à N’zérékoré et force le préfet à décréter un couvre-feu. En effet, la population avait été irritée par une action préventive de MSF qui consistait à pulvériser le marché local et ses environs à des fins de désinfection contre le virus Ebola. Une frange de la population avait résisté à l’action, accusant MSF d’être le principal responsable de la propagation du virus Ebola dans la région forestière. Elle s’est ensuite dirigée vers l’hôpital régional abritant le centre de traitement armée de bâtons et de gourdins et scandant des slogans hostiles « Ebola, c’est du mensonge, c’est du faux… A bas Ebola ». Les forces de l’ordre avaient dû intervenir, pour calmer la situation. De source officielle, les affrontements avaient fait au moins 22 blessés, dont des agents de sécurité. Le préfet de N’zérékoré avait déploré la situation et justifie le couvre-feu par « une situation grave et très grave » ainsi que des « comportements susceptibles de déstabiliser la ville ».

La tentation de transformer les campagnes de sensibilisation en « mamaya » politique

La campagne de sensibilisation financée grassement par l’extérieur, offre au pouvoir une opportunité de faire d’une pierre deux coups : informer sur Ebola et faire la campagne politique. En effet, la campagne de sensibilisation pourrait être prise en otage par des éléments zélés à des fins de « mamaya » politique au compte du pouvoir, comme ce fut le cas pour le recensement général de la population et de l’habitat. D’ailleurs, le coordinateur national à la lutte contre Ebola, Docteur Sakoba Keita, a commencé à recevoir des intimidations : « J’ai reçu des SMS, de la part d’inconnus, qui menacent de m’attaquer si je ne leur donne pas assez d’argent pour faire leur sensibilisation (…). On veut la présence du dispositif et quels sont ceux qui pratiquent, c’est l’impact que nous voulons, plus de mamaya à ce propos. C’est ce qu’on veut arrêter ». Les grands moyens déployés pour la couverture médiatique à Womey ainsi que la participation des plus hauts responsables de la région (qui sont tous d’obédience RPG) donnent l’impression d’une « mamaya » politique. Or, la « mamaya » politique est très partisane. Elle est acceptable pour ceux qui soutiennent le pouvoir mais rejetée par ceux qui se ne retrouvent pas dans la politique du pouvoir. Puisqu’Ebola ne se préoccupe pas d’affiliation politique pour tuer, il est extrêmement important que la tentation de politiser la campagne de sensibilisation soit contenue.

Profitant du manque d’arbitre dans le pays, la classe politique guinéenne a cru bon d’instrumentaliser la bataille contre Ebola à des fins de campagne politique. L’opposition, d’habitude molle, y voit une occasion de mettre en mal la mouvance en dénonçant sa mauvaise gestion de la maladie. Récemment, le chef de l’UFDG, Cellou Dallen Diallo accusait : « lorsque l’épidémie a éclaté début février dans deux préfectures de la Guinée Forestière, la visite du roi du Maroc était attendue pour début mars. L’impact de la maladie a été minimisé pour ne pas voir cette visite officielle annulée. La réaction n’a pas été à la hauteur du risque encouru par les populations. Ensuite, quand l’OMS annonçait 127 cas, le gouvernement avançait le chiffre de 62… Et quand Médecins sans frontières (MSF) donnait l’alarme en juin sur une épidémie hors de contrôle, Alpha Condé disait que la situation était ‘bien maîtrisée’ et accusait MSF de chercher de l’argent sur le dos des Guinéens ». Mais la flagornerie est sans égale du côté de la mouvance. Récemment, lors d’une assemblée hebdomadaire du RPG, le ministre des Travaux publics, Mohamed Traoré vantait l’effort inlassable du président Alpha Condé contre l’épidémie Ebola : « Grâce à lui aujourd’hui cette maladie est sous contrôle en République de Guinée, contrairement à nos voisins qui sont dans les mêmes situations que nous ».

Pourtant certains observateurs avaient averti contre la politisation de la lutte contre Ebola. Dans une déclaration conjointe publiée le 10 septembre 2014, quatre partis politiques avaient essayé de tirer la sonnette d’alarme sur ce qu’ils considéraient comme l’utilisation de la campagne de sensibilisation sur l’épidémie Ebola pour les besoins des campagnes présidentielles prévues pour 2015 en faveur du d’Alpha Condé et de son parti. Les signataires de la lettre, notamment Dr. Edouard Zoutomou Kpoghomou de l’UDRP, Dr. Faya Millimouno du Bloc Libéral, Daniel Kolié du Parti CADRE (Congrès africain pour la démocratie et le renouveau), Mamadou Bah Baadiko, de l’Union des forces démocratiques (UFD) informaient l’opinion dans une lettre ouverte les astuces des membres du comité de sensibilisation sur le virus Ebola pour allier la sensibilisation à la campagne politique en faveur du pouvoir. Ensuite, les signataires avaient lancé un appel à la vigilance particulière à l’endroit des populations de la Guinée Forestière.

Malheureusement, ces appels sont tombés dans de sourdes oreilles. Six jours après cette déclaration, précisément dans la journée du mardi 16 septembre 2014, le gouvernement dépêchait une forte délégation composée des plus hautes autorités politico-administratives de la région de N’zérékoré et de la sous-préfecture de Womey, les responsables régionaux du secteur de la santé ainsi que la presse. Officiellement, la délégation se rendait pour une mission de sensibilisation dans le village de Womey. Puisque ce village n’est pas frappé par l’épidémie et que la mission de sensibilisation n’avait pas d’enjeux immédiats, on comprend mal le caractère singulièrement politico-administratif (dans la logique du Parti-Etat) et médiatique donné à un évènement apolitique dans une sous-préfecture éloignée du centre urbain. Les incidents récents dans la ville de Forécariah où une délégation gouvernementale fut obligée de quitter une réunion de sensibilisation sur Ebola en débandade prouve une fois de plus que la présence des responsables politico-administratifs de l’Etat et la politisation possible de la lutte contre Ebola ne sera pas acceptée par la population.

En principe, les opérations de sensibilisation ne concernent normalement que le personnel de la santé et les responsables locaux en collaboration avec les sages et les chefs de la communauté. Par exemple, l’UNICEF finance un vaste programme de sensibilisation à travers le ministère de la Jeunesse. Les moyens de sensibilisation retenus sont la méthode porte-à-porte, les affiches, les messages vidéo, les réseaux sociaux, les conférences-débats, et l’usage d’écrans géants pour diffuser des messages de sensibilisation. Le 29 mai dernier, le lancement de la campagne de sensibilisation à Dixinn Port II n’impliquait que le chef de secteur Lamine Sylla, le Coordonnateur Adjoint de Prévention des Maladies au Ministère de la Santé Dr. Mohamed Said Touré et l’ONG Médecins d’Afrique. A Kindia, la sensibilisation a consisté en une table ronde. Même Alpha Condé ne semblait pas prévoir des « mamayas » quand il annonçait le lancement des campagnes de sensibilisation : « une immense campagne a été initiée et vise particulièrement les régions reculées du Bec de Perroquet. Les médecins engagés dans ce programme donnent des consignes d’hygiène pour endiguer la progression de la maladie ». Dans le même esprit, Fodé Tass Sylla, responsable de la communication de la coordination de riposte contre Ebola souligne la nécessité d’impliquer les ressortissants locaux : « Il faut que des ressortissants locaux soient les vecteurs de la communication dans leurs propres villages. Car selon une étude sociologique, en Guinée, c’est le porteur du message qui est plus important que le message. »

En somme, le crime crapuleux de Womey est horrible et doit être puni à la mesure de la forfaiture des bourreaux et leurs complices. Cependant, la réaction soudaine, hostile et violente allant jusqu’à tuer des émissaires du gouvernement ne pourrait être mise uniquement au compte de la« sauvagerie ». Il y a eu un important élément déclencheur que les communiqués du gouvernement tentent de cacher. Ce déclencheur pourrait expliquer l’attitude bestiale envers les membres de la délégation qui n’avaient pas pu s’échapper, faute de protection. Est-ce une incompréhension fatale du discours du gouverneur et sa délégation? La vengeance contre un affront passé, un grief non résolu, une promesse non tenue ? Le sentiment d’être bafoué et humilié chez soi ? La paranoïa envers les missions de sensibilisation d’Ebola ? Dans le passé, des réactions hostiles de populations contre les équipes de sensibilisation avaient été enregistrées à Guéckédou, à N’zérékoré et dans certaines parties du Liberia et de la Sierra Leone, mais en aucun cas un simple discours de sensibilisation n’a mené à des morts d’hommes.

Seule la dimension politique pourrait expliquer pourquoi une population pourrait s’en prendre avec une fureur sauvage à des personnes sans défense venues simplement les sensibiliser. Bien entendu, le mobile du crime n’atténue pas la responsabilité pénale de ceux qui ont commis le forfait, mais soulève bien de questions sur l’imprudence de l’approche prise par le gouverneur et sa délégation. Les organisateurs de la rencontre auraient dû connaitre le risque auquel ils exposaient les membres de la délégation, surtout les agents de santé et journalistes qui étaient sans défense. Leur négligence a mené à une provocation qui a inutilement mis en péril la vie des membres apolitiques de la délégation dont le rôle était de loin plus important dans la campagne de sensibilisation.

Comme l’a fait remarquer le ministre des Droits de l’Homme Gassama Diaby : « Ces crimes sont lâches. Ces crimes sont ignobles et injustifiables. Ils sont aussi les conséquences des années de compromissions morales, de laxismes sociopolitiques et d’impunité. Ces crimes sont odieux et constituent aussi l’expression de la haine, de la décadence morale et de la faillite de l’idée d 'Etat de droit et de puissance Publique dans notre pays. Ces crimes sont insupportables, comme bien d’autres crimes déjà commis dans notre pays. Ils sont par conséquent l’expression de l’échec des dizaines d’années de gestion et de jeux politiques défaillants et ethnico communautaristes de notre pays. »

La tendance des régimes successifs à accepter le compromis et la compromission à des fins électoralistes (la fin justifie les moyens) a fini de pervertir le vivre-ensemble dans le pays. Ce constat est aujourd’hui plus saisissant en Guinée Forestière, qui est devenue une vraie poudrière prête à exploser à tout moment.

L’équipe de rédaction de Guinéenews©