Dossier : La faiblesse de l’argument de la séparation des pouvoirs comme excuse au déni de justice (suite et fin)

Publié le 26 Octobre 2014

Dossier : La faiblesse de l’argument de la séparation des pouvoirs comme excuse au déni de justice (suite et fin)

Ces deniers temps, on entend souvent le Ministre de la Justice invoquer le principe de la « séparation des pouvoirs » pour renvoyer la balle au pouvoir exécutif et justifier le manque d’action de la justice guinéenne dans les dossiers encombrants pour le régime. Le même Ministre ne se prive pas de faire la navette entre son rôle régalien de Ministre de la Justice et celui politique d’Avocat Défenseur des intérêts politico-électoraux du Président et de son parti, le RPG. Les prises de position partisanes, les atermoiements, l’approche minimaliste et le manque de visibilité des actions du Ministre de la Justice en faveur de la justice neutre et impartiale commencent à faire douter de son engagement pour la construction de l’Etat de droit en Guinée.

La théorie de séparation des pouvoirs tire son origine de l’Esprit des Lois de Montesquieu qui résume le principe en ces termes : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Chaque pays a sa version de la conception de séparation des pouvoirs. Les Etats-Unis appliquent le concept à travers les « checks and balances » (freins et contrepoids) de leur système de gouvernement, alors que le la France préfère une approche nuancée. Le concept a été parfois dénaturé, soit à cause du refus du pouvoir judiciaire d’assumer l’indépendance d’action que la Constitution lui garantit, soit à cause de la concurrence entre les institutions des pouvoirs séparés pour le contrôle des leviers de prise de décision. Suite à cette concurrence, le pouvoir exécutif pourrait chercher à avoir de l’ascendant sur le pouvoir judiciaire ou vice-versa.

Nous analysons ci-dessous les abus et manipulations du concept de séparation des pouvoirs sous le régime Condé et les implications pour la construction de l’Etat de droit.

Comment le principe de la séparation des pouvoirs peut être abusé ?

Le principe de la séparation des pouvoirs a fait l’objet d’abus qui ont mené à des effets pervers. Par exemple, en France le pouvoir royal fut paralysé par l’immixtion des juges. C’est après la Révolution que le nouveau régime avait passé la loi des 16 et 24 août 1790, dont l’article 13 stipulait : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations du corps administratif ni citer devant eux les administrateurs en raison de leurs fonctions. »

A l’opposé de la dualité des ordres de juridiction en France, les Etats-Unis avaient adopté le système d’unicité de juridiction dans lequel, sauf exception, les mêmes tribunaux traitent des cas des particuliers ainsi que des procès qui mettent en cause l’Etat. Les effets pervers de ce système sont illustrés par des situations où la justice avait ébranlé le pouvoir exécutif: affaire Watergate qui mena à la chute de l’Administration de Nixon, troubles politico-judiciaires qui avaient failli coûter le pouvoir à Bill Clinton sur l’affaire Monica Lewinski, l’immixtion de la Cour suprême pour décider de l’élection de Gorge Bush contre Al Gore en 2000, menaces de poursuites judiciaires que les membres du Tea Party mènent contre Obama. Même dans les pays à vocation socialiste, il existe une version de séparation des pouvoirs qui permet à l’Administration se réserve le droit de se juger elle-même à travers un Procureur General chargé de faire respecter les principes du socialisme.

En Guinée, le principe de la séparation des pouvoirs, au lieu de servir à la renforcer les feins et contrepoids envers le pouvoir exécutif, sert plutôt d’enfermer la justice dans un carcan qui l’empêche de jouer pleinement le rôle qui est le sien dans une démocratie naissante.

L’illusion de l’indépendance de la justice

L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 en France stipulait que "Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution". C’est malheureusement le cas de la Guinée actuelle. La séparation des pouvoirs est rendue impossible par la tradition anti-démocratique du pays. La déclaration d’incompétence de la Cour suprême et le discours récent du Président de l’Assemblée nationale à l’occasion de l’ouverture de la session budgétaire illustrent le manque d’Indépendance des institutions démocratiques par rapport au pouvoir exécutif.

Il faut aussi noter que le principe de séparation des pouvoirs n’est pas absolu comme le Ministre de la Justice, Me Cheick Sacko, le fait le croire. Dans son application, le principe est si flou que dans un certain nombre de pays, il existe un débat doctrinal sur la pertinence du remplacement du Ministère de la Justice, au nom de la séparation des pouvoirs, par un organe constitutionnel indépendant du pouvoir exécutif. En France, pays d’inspiration juridique pour la Guinée, l’indépendance de la justice est assurée par le Conseil supérieur de la magistrature. Mais le fait de faire présider ce Conseil par le président de la République (avec le ministre de la Justice comme vice-président) a soulevé un certain nombre de doutes sur l’influence possible de l’exécutif sur les décisions des juges.

Le Conseil supérieur de la magistrature n’est pas un modèle parfait, mais en France le principe de séparation des pouvoirs est préservé par le fait que le pouvoir exécutif, représenté par le Président de la République et le Ministre de la Justice au sein du Conseil, n’a pas d’injonction à donner aux magistrats. Me Sacko a préconisé le même modèle imparfait pour la Guinée afin de garantir l’indépendance de la Justice, mais il ne fait pas respecter le garde-fou qui garantit qu’un magistrat ne peut pas recevoir d’injonction directe ou indirecte de la part du pouvoir exécutif. D’ailleurs, il y a quelques jours, à l’occasion sa tournée des chantiers du 2 octobre au Fouta, le Président de la république, qui est aussi le Président du Conseil supérieur de la magistrature et garant de l’indépendance de la justice, sonnait la fausse note en déclarant : « Je n’accepterai plus la pagaille. Vous cassez la maison ou la voiture de quelqu’un, on vous arrête. Et je n’accepterai plus qu’on me diffame, celui qui le fait, à partir de maintenant, sera poursuivi par le procureur. » Comme le Doyen Sy Savané dans un passé récent, l’artiste Elie Kamano viens de faire les frais de la justice personnelle du Président et a dû passer un sale temps à la Direction de la police judiciaire pour une accusation d’outrage au Chef de l’Etat. Personne ne sait si le Président s’est plaint en bonne et due forme conformément à la loi. Mais les sbires du pouvoir ont carte blanche d’arrêter un citoyen qui fâche le Président et de l’écrouer sans autre forme de procès.

Le Ministre de la Justice aurait dû conseiller au Président que son rôle n’est pas d’ordonner des arrestations en cas de crime ou faire des injonctions au Procureur en cas de diffamation sur sa personne. Au nom de la sacro-sainte séparation des pouvoirs invoquée par Me Sacko, le président doit faire appliquer la loi en cas de crime, et non pas décider quand et comment il faut procéder à des arrestations. En cas de diffamation contre sa personne, il doit porter plainte et non faire des injonctions au procureur. Il faut rappeler que la Section 2, Article 71 de la loi sur la liberté de presse, portant sur l’offense au Président de la République stipule : « Toutefois, il ne peut y avoir de poursuite dans ce cas que sur la plainte de la personne offensée » ou si le Ministère public décide de s’autosaisir de l’affaire.

Les « deux poids, deux mesures » dans l’application de la séparation des pouvoirs

Le Ministre de la Justice qui invoque souvent la séparation de pouvoirs pour justifier son manque d’action ne se prive pas d’intervenir dans les dossiers qui intéressent le Président de la République. C’est le cas de l’Affaire BSGR sur laquelle il avait fait appel au FBI américain pour mener des investigations en Guinée. Le 10 mars 2014 Me Cheik Sacko, au lieu d’exiger que la femme de Conté, Maladie Touré, mise en cause dans le dossier, soit mise en examen par la justice guinéenne, cherchait plutôt à exprimer sa gratitude aux américains suite à l’arrestation de Frédéric Cilins sous les chefs d’accusation de subornation de témoin, d’entrave à la justice et de tentative de destruction de preuves relatives à une enquête fédérale sur la corruption liée à la saga de Simandou. Me Sacko exprimait au nom de la République de Guinée « sa vive gratitude aux États-Unis d’Amérique, et en particulier aux procureurs du ministère de la Justice et aux enquêteurs du Federal Bureau of Investigation (FBI), pour le niveau élevé de professionnalisme dont ils font preuve dans l’enquête sur les allégations de corruption entourant l’octroi de licences pour les blocs 1 et 2 de Simandou.» Mais la montagne qu’il espérait devenir le « procès de la corruption du siècle » avait accouché d’une souris quand la justice américaine (qui n’est pas aux ordres) avait estimé que le dossier du FBI était vide sur cinq des six chefs d’accusation. Par conséquent, le sieur Cilins avait écopé le minimum de peine, soit 2 ans de prison ferme, 75 000 dollars d’amande et une forfaiture de 20 000 dollars. Par la suite, BSGR avait contre-attaqué avec des poursuites judiciaires en cour d’arbitrage aux Etats-Unis. Cette action pourrait coûter des millions de dollars à la Guinée, rien qu’en frais d’avocats. Pendant ce temps, la Guinée, mal conseillée en droit, fait déjà l’objet de nombreuses poursuites judiciaires dans les juridictions internationales et dépense ses maigres moyens à engraisser des avocats internationaux de tout acabit.

Concernant le massacre de Womey, au lieu de s’insurger contre des entorses du gouvernement telles que l’enterrement hâtif sans autopsie des victimes, les discours irresponsables et incendiaires des Ministres de la Jeunesse et de la Santé qui avaient désigné les coupables et décidé de la punition collective à infliger aux habitants de Womey sans autre forme de justice, les déclarations de caciques du parti stigmatisant les habitants du Sud-Guinéen, la militarisation et le siège illégal du village en contravention des principes des Droits de l’Homme, le Ministre de la Justice s’attaquait plutôt aux avocats des Droits de l’Homme qui souhaitaient vérifier sur le terrain la version officielle du gouvernement et s’assurer que le drame ne mène pas à des exactions.

Dans une sortie médiatique récente, Me Sacko avait essayé de recadrer son homologue, le Ministre des Droits de l’Homme, lequel avait émis une autorisation afin de permettre à l’ONG « Avocat sans Frontières » de se rendre sur le terrain et d’enquêter sur d’éventuelles violations. Me Sacko considère que tout le village assiégé de Womey est un lieu de crime donc l’accès est soumis à une autorisation judiciaire (juge d’instruction). S’arcboutant encore la prétendue « séparation des pouvoirs », Me. Sacko n’admet pas qu’une autorisation administrative émise en bonne et due forme par le Ministre des Droits de l’Homme ne suffit pas pour permettre aux ONG de défense des Droits de l’Homme d’avoir accès au village à des fins d’investigation. Comme si le pouvoir avait quelque chose à cacher, seules les forces de défense et responsables de l’Administration ont accès au village. Oubliant momentanément le principe de « séparation des pouvoirs », le Ministre de la Justice avait exigé des explications au Conseil de l’Ordre des Avocats, se substituant de facto au rôle du Procureur. Il n’en fallait pas plus pour soulever un tollé embarrassant pour le Ministre : «C’est une entrave au libre exercice de l’activité des ONG » déclarait Nouhan Traoré de la RADHO (Rencontre africaine des droits de l’homme) ; « C’est une erreur de la part du ministre » renchérissait Maître Emmanuel Bamba de la LIGUIDHO (Ligue guinéenne des droits de l’homme). Tout récemment, dans une autre entorse apparente à la séparation des pouvoirs, Me Sacko aurait récemment adressé un courrier au président de l'Assemblée nationale lui intimant de rappeler à l'ordre le député Ousmane Gaoual Diallo de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG).

La justice à géométrie variable, selon l’appartenance ethno-politique

Malgré sa volonté affichée de garantir l’indépendance de la justice, les mains de Me Sacko semblent très attachées et sa liberté de manœuvre très réduite par des considérations politiques. Alors que les Guinéens s’attendaient à ce qu’il soit un contrepoids de taille dans le Gouvernement, le Ministre en est réduit à marcher sur une corde raide, essayant de limiter les dégâts des extrémistes du régime par-ci et de calmer les ardeurs de son homologue des Droits de l’Homme par-là. Par conséquent, le pays manque cruellement de « pouvoir pour arrêter le pouvoir » malgré la façade démocratique.

En dehors du Conseil Supérieur de la Magistrature qu’il a contribué à mettre en place, Me Sacko se focalise sur des actions minimalistes sans grands enjeux et qui ne lui causent pas de soucis avec le régime Condé. Au nombre de ces actions, il faut noter la construction d’une maison centrale à Yorokoguia dans la préfecture de Dubréka, la poursuite de la construction de la Chancellerie, la poursuite de la mise en place du code pénal et du code de la justice militaire, l’organisation de stage de formation de 50 jeunes magistrats et 30 greffiers, l’organisation de la mise en place du Conseil supérieur de la Magistrature (dont les textes existaient sur papier depuis 1991), la signature du décret d’application du statut des magistrats. Même Alpha Conde, en sa qualité de Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, pense que « la justice est malade », mais, pour des raisons de contrainte politique, Me Sacko préfère appliquer les petits remèdes aux grands maux du secteur de la justice.

Devant chaque décision difficile en faveur de la lutte contre la corruption et l’impunité, Me Sacko invoque la séparation des pouvoirs comme excuse pour son manque d’action. Sous son magistère, les cas de corruption qui pourraient contrarier le régime sont systématiquement ignorés ou retardés par la justice: Affaire Madame Boiro et les 13 milliards, gabegie à l’EDG, 20 millions dollars de Dakargate, pour ne citer que ceux-ci. De même, concernant l’impunité sur les crimes de sang, comme le massacre du 28 septembre 2009, la justice fait le minimum nécessaire pour ne pas se faire tirer les oreilles par la CPI. Elle avance lentement, arguant que le dossier est complexe, au grand dam des victimes et des organisations de défense des droits de l’homme. Souhayr Belhassen, présidente d'honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a d’ailleurs fait remarquer que « Les récentes avancées constituent des signaux positifs, mais les juges doivent désormais accélérer la cadence pour que les personnes suspectées de crimes, à tous les niveaux de la hiérarchie, puissent être mis en cause. C'est à cette condition qu'un procès pourra être tenu dans des délais raisonnables et que la vérité pourra enfin être faite sur ces événements. »

Contrairement à l’adage populaire selon lequel « une justice différée est une justice refusée », Me Sacko préfère se hâter lentement, arguant que puisqu’il s’agit de crime de masse, « le retard est quasiment inévitable ». Pour convaincre, il se rabat sur l’exemple du procès d'Hyssène Habré au Sénégal : « Cela fait 21 ans que ça dure. Ce n'est pas pour faire de la comparaison, mais pour nous, ça fait cinq ans que ça dure» ajoute-t-il. Sachant qu’il n’a ni les moyens humains ni le poids politique pour traiter le dossier du massacre du 28 Septembre en toute liberté, Me Sacko amuse la gallérie et traine les pieds plutôt que requérir les services de la CPI. Devant une situation pareille, en moins de trois ans, la Côte d’Ivoire a transféré Charles Blé Goudé et Laurent Gbagbo à la CPI ; le Président du Kenya, Uhuru Kenyatta s’apprête à aller comparaitre ; Jean-Pierre Bemba ancien Vice-Président de RDC comparait déjà. Le Mali, pour faire preuve de engagement à ne plus tolérer l’impunité, vient d’inviter la CPI à ouvrir un bureau à Bamako afin d’instruire plus rapidement les dossiers en souffrance contre la junte de Sanogo. Par contre Me Sacko refuse l’option de la CPI, mais se complait dans la lenteur.

Allons-nous vers l’instrumentalisation de la justice pour les besoins électoraux de 2015 ?

De ce qui découle, il apparait que le Ministre de la Justice est loin d’avoir les coudées franches et commence à se conformer au jeu politique du régime qu’il sert. Il faut rappeler qu’Alpha Condé doit en grande partie sa victoire électorale en Forêt à la promesse d’impunité pour les fils du terroir impliqués dans le dossier du 28 Septembre. A l’approche de nouvelles élections en 2015, il n’est pas dans l’intérêt électoral du régime Condé d’accélérer le traitement de dossiers encombrants, comme celui du 28 Septembre. La protection des personnes mises en cause est poussée au point de refuser la requête du Département d’Etat américain de les mettre en congé administratif. Pour faire diversion, Me Sacko avait encore invoqué son attachement à la prétendue séparation des pouvoirs : « S’il y a des personnes qui sont impliquées (dans le massacre du 28 septembre) et qui sont en fonction, il appartient à l’exécutif de prendre ses responsabilités. »

Comme la plupart des membres du gouvernement, Me Sacko en est réduit à voir toute action orientée vers la justice impartiale et la défense des Droits de l’Homme comme une menace envers les intérêts électoralistes du pouvoir. Le pouvoir a besoin de ses alliés, surtout les corrompus d’hier qui acceptent de servir la cause du régime et les personnes mises en cause dans des crimes. La cacophonie qui existe entre le Ministre de la Justice et son homologue des Droits de l’Homme s’explique par les différences des enjeux. Le Ministre des Droits de l’Homme n’a pas d’autorité mais est relativement libre de ses actions. Par contre le Ministre de la Justice a de l’autorité, mais n’est pas libre de ses actions. Il doit tenir compte des intérêts électoraux du parti. Me Sacko croit que la cacophonie est due à ce qu’il considère comme « le flou total » au niveau des attributions des membres du gouvernement : « Il me faut donc avoir une discussion avec mon collègue des Droits de l'Homme pour éclaircir tous ces points. » déclare-t-il. Mais pour faire bonne mesure, Me Sacko, qui devrait être au premier front de la défense des droits des citoyens, montre patte banche : « je vous tranquillise, je suis sur la même longueur d'onde que mon collègue des Droits de l'Homme. Je le soutiens dans l'action qu'il fait dans notre pays. C'est une action à saluer. Il promeut les droits de l'Homme, il dénonce aussi les violations. Et c'est pour ça qu'il a été nommé à ce poste. »

La politisation de la justice sous Me Sacko commence à inquiéter. De simples citoyens croupissent en prison sans jugement en violation de la loi guinéenne et des dispositions universelles en matière de droits de l’homme. Par exemple, il y a plus de quatre mois que Malick Kébé, Directeur général de l’agence guinéenne des spectacles, et Ablaye Mbaye de l’agence Mœurs Libre Productions sont détenus à la Maison centrale de Conakry pour leur responsabilité présumée dans le drame de Rogbanè, malgré que la loi prévoit que la durée de détention provisoire ne peut pas excéder quatre mois. Pendant ce temps, les amis et alliés du pouvoir inculpés par la justice sont libres de leurs mouvements, quelle que soit la gravité de leur crime. Les inculpés des crimes contre l’humanité relatifs au massacre du 28 Septembre qui sont proches du pouvoir sont toujours en service dans le gouvernement malgré les dénonciations des organisations internationales de défense des droits de l’homme. Maka Traoré, porte-parole d’un groupe d’artistes qui s’indignaient récemment contre la détention de Laye Kébé et Ablaye Mbaye au delà de la période statutaire, avait expliqué aux médias l’atmosphère ambiante de justice à deux vitesses en ces termes : « Pendant que nos amis sont en prison, le gouverneur de la ville de Conakry, Soria Sorel Camara, le président de la délégation spéciale de Ratoma, Sékou Batouta Camara, inculpés au même titre, même si c’est à des degrés différents, sont libres de leur mouvement. D’autres effectuent même des déplacements à l’étranger ». Dans le même esprit partisan, la justice de Me Sacko passe sous silence les déclarations publiques outrageuses des gens du pouvoir, notamment Laye Junior Condé, Mohamed Traoré, le ministre des travaux publics, etc. mais passe outre les lignes de démarcation des pouvoirs pour essayer de sévir contre les députés franc-tireur de l’opposition, notamment Ousmane Gaoual Diallo et Faya Milimono.

En somme, Me Sacko a entamé un bon travail de réforme de la justice et a suscité un grand espoir pour tourner les pages sombres de la justice guinéenne. Mais il doit réaliser que sa noble mission ne s’accommode pas des calculs politiques électoralistes du RPG. De par sa position, il doit être un conseiller impartial du Gouvernement et un contrepoids de taille dans l’œuvre de construction de l’Etat de droit. Les Guinéens attendent de lui des pas de géant, le courage du lion et l’agilité du léopard. Ils ont trop soif de justice et n’ont plus besoin de leçons de patience ou de vendeurs d’illusions. Me Sacko doit oser casser les tabous et poser des actions qui le démarquent de ses prédécesseurs et qui rassurent sur son indépendance sur le traitement des dossiers de justice. Au lieu de passer son temps à ménager la chèvre et le chou sur les dossiers brulants, il devrait plutôt les déférer au CPI pour se libérer des pesanteurs politiques et sociales qui minent son efficacité. Ce choix responsable et patriotique lui permettrait à coup sûr de mener à bon port les réformes de justice qui s’adressent aux maux qui gangrènent le pays et qui risquent, si l’on n’y prend garde, de faire éclater la Guinée en quatre petits morceaux.

Rédigé par Sékou Chérif Diallo

Publié dans #Droits de l'Homme, #Politique, #Dictature, #Alpha Condé

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